Il est impossible de présenter tous les lieux du Paris littéraire en quelques pages, même un volume entier ne suffirait pas, nous en citerons donc seulement quelques-uns…
La Seine - De nombreux écrivains ont fait de la Seine un lieu littéraire. Si aujourd’hui elle a l’aspect d’un long fleuve tranquille dont les eaux souvent semblent immobiles, le paysage que nous admirons a beaucoup changé au cours des siècles. Avant les grands travaux d’Haussmann, il y avait des abreuvoirs et des moulins sur les berges qui ont laissé place aux quais et aux arbres le long de la promenade.Apollinaire ne se lassait pas de la regarder, il la chantait en ses aspects diurnes et nocturnes, la qualifiant de « fleuve adorable ». Chateaubriand en était épris et lorsqu’il traversait les ponts, il avait l’impression de marcher au milieu de ses eaux. Par les beaux jours de printemps, il s’appuyait à un des parapets et regardait passer le courant, ne demandant qu’à s’y asseoir et à prendre le soleil.
Les surréalistes appelaient la Seine « le serpent Mélusine », cette créature magique dont la beauté envoûtante pouvait conduire à la mort. Le fleuve représentait une frontière liquide entre deux mondes incompatibles.
Zola a également évoqué la Seine dans son roman Au Bonheur des Dames, onzième volume de la suite des Rougon-Macquart. L’auteur y décrit le restaurant Julien qui se trouvait sur l’île Fanac, à Joinville-le-Pont. Léon-Paul Fargue, quant à lui, dévoila ses contemplations du fleuve sur un ton doux et mélancolique : « Combien de fois, en attendant l'aube, ai-je appuyé mon coude sur la balustrade du Pont-Neuf, si vieux, si noble, si fissuré, dans l'ombre agréable du chevalier de bronze. Je laissais mon regard errer sur la surface de la Seine, miroir brillant de souvenirs et de murmures, dont les reflets représentaient pour moi les images et les aquarelles des chroniques du passé. Son aspect marbré m'évoquait tant de choses, et lorsque je levais les yeux vers le Louvre des Valois, si pur et si beau, toute ma sensibilité me criait que le passé existe, qu'il sommeille embaumé sous le verre des siècles et n'attend qu'un signe pour commencer à entonner, avec la voix de ses fantômes, la complainte des événements qui ne meurent jamais… »
Les restaurants des écrivains – En 1582, sous le règne d’Henri II, l’hostellerie de la Tour d’Argent avait ouvert au numéro 15 de la rue de la Tornelle – aujourd’hui quai de la Tournelle -, à l’endroit où accostait le bateau fluvial tiré par des chevaux en provenance de Fontainebleau. Il y avait un cabaret avec des spectacles, on mangeait bien et on se promenait le long de la Seine. Même le roi y venait et c’est là qu’il découvrit l’usage de la fourchette qu’il n’avait jamais utilisée auparavant. Le menu était composé de plats tels que la viande de cygne en gelée, les cuisses de grue aux pruneaux, le serpent d’eau mijoté… Mais le plat qui fit la renommée de l’établissement fut le canard saignant. Plus tard, le restaurant fut l’un des premiers à proposer à ses clients du chocolat dans une tasse et du café.
Au XIXe siècle, le lieu était fréquenté par plusieurs célébrités littéraires dont George Sand, Alfred de Musset et Victor Hugo. Un jour, ce dernier s’est amusé à réciter à haute voix une phrase de sa pièce Lucrèce Borgia : « Messieurs, je viens vous annoncer une nouvelle, c'est que vous êtes tous empoisonnés et qu'il n'y en a pas un de vous qui ait encore une heure à vivre... » La phrase fit tout son effet et les serveurs durent intervenir pour rassurer les clients inquiets d’avoir été véritablement empoisonnés. C’est justement en raison de la fréquentation littéraire du restaurant que le patron eut l’idée de donner à certains plats le nom d’écrivains célèbres. Il y eut ainsi le velouté de légumes Anatole France, la tarte au saumon Sarah Bernhardt, le pâté de héron Alexandre Dumas…
L’Île de la Cité – c’est le plus ancien quartier de Paris et, à ce titre, le plus riche en histoire. Entre la rue Chanoinesse, la rue des Chantres et la Seine se trouvait la maison du chanoine Fulbert, oncle d’Héloïse, qui aima Abélard au mépris des interdictions de l’Église. Leur union fut un symbole de l’amour divin et de l’amour profane. Sur la porte de la maison du XIXe siècle au numéro 9 du quai aux Fleurs figurent deux médaillons représentant les célèbres amants.
Les institutions religieuses étaient nombreuses sur l’île et des pièces de théâtre à caractère sacré étaient jouées devant Notre-Dame. Au Moyen Age, ces pièces se jouaient devant les églises, sur une scène dressée contre le portail d’entrée, avec les statues de la façade en toile de fond. Mais malheureusement, selon Saint Bernard, les clercs préféraient le « cliquetis des ceintures et des boucles en or des femmes perverses » aux spectacles religieux et aux chants des psaumes.
« Parmi les différents sites qui m’inspirent – écrivit l’ethnographe et écrivain surréaliste Michel Leiris dans Biffures – il y a la place du Vert-Galant, qui occupe toute la pointe de l’île et dont le triangle, qui se rétrécit au bord de l’eau, soutient un ensemble d’arbres touffus sous lesquels des bancs accueillent les passants. C’est un coin de paradis propice aux rendez-vous des amants… »
Parmi les lieux préférés de Balzac sur l’île il y avait le Terrain, un terrain vague qui abritait les ruines de l’Archevêché et où passait la mélancolique rue Chanoinesse, où « les vents de l’est se glissent sans obstacles et où les brumes de la Seine sont retenues par les murailles noires de la vieille église métropolitaine. » L’écrivain aimait aussi la Conciergerie, avec ses « murs noirs et ses tourelles d’angle, dont deux sont presque jumelées, la décoration sombre et mystérieuse du quai des Lunettes, avec sa cour antichambre de la potence. » À l’intérieur du Palais de justice, Balzac aimait s’attarder dans la salle lugubre et horrifiante des Pas perdus là où, avec ses escaliers étroits et ses couloirs sombres, les témoins étaient retenus…
L’Île Saint-Louis – Elle ressemble presque à un bateau amarré au milieu du fleuve. Les anciens bâtiments sont restés intacts, les boutiques sont regroupées dans la rue centrale, si bien que les autres rues n’ont pas d’aspect commercial. Rétif de la Bretonne connaissait chaque coin de l’île et avait la manie de graver des mémos à usage personnel sur les parapets. Il y inscrivait le nom des femmes avec qui il avait rendez-vous ainsi que les dates de ces derniers, mais aussi les avancées et les difficultés de ces œuvres littéraires. En fait, c’était un graffeur ante litteram.
Baudelaire, qui a changé de domicile une cinquantaine de fois au cours de sa vie, a vécu au numéro 17 du quai d’Anjou, dans l’édifice qui aujourd’hui s’appelle l’hôtel Lauzun. Ici, le poète laissait dériver son imagination des rives froides de la Seine à celles brûlantes du Gange, loin de la ville qu’il aimait et qu’il détestait. Dans la rue voisine Le Regrattier, qui s’appelait à l’époque rue de la Femme-sans-Tête, habitait son amante, la danseuse haïtienne Jeanne Duval.
Le photographe Nadar a décrit Baudelaire comme un dandy toujours élégant et cette coquetterie fut la cause principale de ses dettes. Pour les éviter, sa mère et son beau-père avaient gelé son héritage. Dans les Tableaux parisiens, Baudelaire décrivit très bien les chamboulements causés par les travaux d’Haussmann. « Paris change! Mais rien dans ma mélancolie/ N’a bougé! Palais neufs, échafaudages, blocs/ Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie, / Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs. »
Le Quartier latin – Huysmans a écrit que l’église de Saint-Séverin, où il fut baptisé le 6 février 1848, se dressait, petite et modeste, au milieu des tavernes malfamées, dans un quartier « voué au satanisme ». À l’époque de Huysmans, en effet, s’étendait autour de l’édifice religieux un enchevêtrement de ruelles sombres, bordées par de vieilles maisons aux murs noirs, d’où entraient et sortaient sans cesse des hordes de « sacripants » qui commettaient des méfaits et qui s’enivraient en compagnie de prostituées. Au numéro 11 de la rue de la Huchette se trouvait le restaurant Bouillon, décrit par Huysmans comme « le café anglais des misérables ».
Dans son livre intitulé Paris ridicule de 1668, Claude Le Petit, brûlé vif à vingt-quatre ans pour avoir dit du mal de la religion, avait décrit ainsi cette même rue :
Voici la rue de la Huchette,
Mais prend bien garde à ta pochette,Autrement on te l’attrapera
Et sans doute on te dupera
Car en ce lieu-là c’est la source
D’où sortent les coupeurs de bourse.
Près d’un siècle plus tard, Louis-Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris, écrivait qu’au contraire “à Paris, il n’y a rien de plus agréable que le rue de la Huchette, dont les rôtisseries exhalent un fumet appétissant. À toute heure du jour on y voit des poulets rôtis sur des broches, qui se meuvent lentement sur le feu ».
À l’Hôtel du Mont-Blanc, alors situé à côté mais qui n’existe plus aujourd’hui, ont habité Hemingway, Henry Miller et Pablo Neruda. Dans le rue de la Parcheminerie, autrefois appelée rue des Écrivains, il y avait des scribes publics, des librairies, des enlumineurs et des vendeurs de parchemins, d’où le nom de la rue. Sur la place Maubert, toute proche, le philosophe et imprimeur Étienne Dolet avait été brûlé vif le 5 août 1546 pour avoir mal traduit Platon. L’ordre avait été donné par le roi François Ier en personne.
Pour honorer sa mémoire, une statue avait été érigée au centre de la place.
En 1202, lors de son ouverture, la rue du Fouarre s’appelait la rue des Escholiers. À cette époque, de nombreux étudiants suivaient les cours en plein air, assis sur des bottes de foin car à l’intérieur les salles de classe étaient déjà bondées. Les étudiants étaient anglais, irlandais, danois… Parmi eux, pour suivre les débats, se trouvaient aussi des écrivains et des philosophes célèbres comme Dante, Pétrarque, Thomas d’Aquin, Rabelais et François Villon. Au cœur de ce quartier se trouve l’église Saint-Julien-le-Pauvre, construite en 1240.
En face du numéro 30 de la rue des Fossés-Saint-Bernard se situait l’hôtel de Bazancourt, surnommé Hôtel des Haricots qui servait de maison d’arrêt. Au mois de mai 1836, Balzac y avait été incarcéré, partageant sa cellule avec Eugène Sue, qu’il détestait cordialement. Mais Sue avait les moyens de faire venir des repas de l’extérieur et lui en proposait une part, ce qu’il acceptait naturellement, malgré son aversion. Les deux écrivains étaient en prison parce qu’ils avaient refusé de s’engager dans la Garde nationale.
Jardin des Plantes – À l’entrée du parc et du jardin botanique, au numéro 57 de la rue Cuvier, se trouve la statue de Bernardin de Saint-Pierre, qui le représente assis contre un tronc d’arbre à l’écorce rugueuse. Fidèle à la mythologie exotique de l’époque, il avait ouvert en 1793 une ménagerie d’animaux venus de contrées lointaines. Le douanier Rousseau y venait les recopier. Alfred de Musset éprouvait lui aussi une grande attirance pour ce lieu où se trouvaient des palmiers plantés dans des pots et diverses plantes étrangères. En 1852, il s’y rendit avec Louise Colet. Lorsqu’ils passèrent devant la fosse aux lions, l’écrivain, qui était aussi un grand coureur de femmes, lui dit : “Si nous nous cajolions?” Elle ne sembla pas d’accord, du moins à cette occasion, même si Musset fut un des ses amants. Chateaubriand venait pour se promener sous les grands arbres qui lui rappelaient ceux qu’il avait vus en Amérique et qui le faisaient fantasmer…
En face du Jardin des Plantes se trouvait l’ancienne salpêtrière, devenue en 1654 un hôpital pour les pauvres portant le même nom. Les prostituées et les femmes accusées d’adultère y étaient également soignées. Avec cette incrimination souvent fausse, les maris se débarrassaient d’elles. Dans le célèbre ouvrage de l’abbé Prévost intitulé Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, écrit en 1731, on retrouve une telle situation. La protagoniste est en effet enfermée dans cet hôpital pour son penchant au plaisir et est ensuite libérée par son chevalier. Le pavillon des Incurables porte aujourd’hui encore le nom de Manon Lescaut et dans la cour se trouve le puits de Manon.
À la fin du XVIIIe siècle, l’hôpital était destiné au rétablissement des malades mentaux et le docteur Charcot venait y donner des conférences sur l’hystérie. Sigmund Freud et Guy de Maupassant y assistaient également. Les conférences étaient accompagnées de démonstrations en temps réel avec des patientes qui se débattaient, qui hurlaient, qui se tordaient les mains et qui adoptaient des postures obscènes. Charcot découvrit plus tard qu’une grande partie de ces patientes se comportaient ainsi parce qu’elles étaient payées par ses collègues, jaloux de son succès. L’actrice Sarah Bernhardt venait également assister à ces démonstrations et s’en inspira plus tard pour des scènes dramatiques au théâtre. Au musée de l’Assistance publique, au 47 quai de la Tournelle, il y a le catalogue d’une exposition qui avait été organisée sur cette période et dans laquelle figurait le beau tableau d’André Brouillet intitulé : La leçon de Charcot, voyage dans une toile.
La Contrescarpe - C’est une petite place bien entretenue, où il fait bon passer une soirée à la table d’un café. Elle est bordée d’anciennes maisons dont les façades évoquent une scène de théâtre. Au numéro 1, une plaque rappelle que là se trouvait la taverne La Pomme de Pin, où Rabelais venait manger une épaule de mouton au persil. Les poètes de la Pléiade s’y retrouvaient également.
Au numéro 2 de la rue du Cardinal-Lemoine, proche de la place, habitait Paul Verlaine. Il était fonctionnaire à la mairie et menait une vie très régulière. Il rentrait à la maison pour déjeuner et, à la belle saison, passait ses soirées sur le balcon qui donne sur la rue de la Tournelle en compagnie de sa femme. Il savourait son café devant une vue imprenable. C’était avant qu’il ne rencontre Rimbaud. Dès lors, le cadre idyllique vola en éclats et sa vie bascula. En 1895, devenu alcoolique, il se traînait d’une chambre meublée à l’autre dans le Quartier latin et d’un café lugubre à l’autre, tirant avec peine sa jambe malade. Il finit par vivre dans un taudis au numéro 39 de la rue Descartes avec la prostituée Eugénie, également alcoolique. Elle le battait car elle ne voulait pas le voir écrire du matin au soir. Le soir du 7 janvier 1896, alors qu’elle rentrait après avoir été acheter à boire, elle le trouva nu dans la rue, à l’état de cadavre. Elle décida alors de tirer parti de la situation à sa façon. Elle se rendit à la papeterie Gibert pour acheter des stylos et des porte-plumes qu’elle mit en vente, en précisant que pour chacun d’eux « c’était le dernier dont s’était servi le poète ».
Aujourd’hui, la maison du poète abrite un charmant restaurant dont l’enseigne est La Maison de Verlaine. En face se trouve le bar du Bateau ivre, le nom faisant référence au célèbre recueil de poèmes d’Arthur Rimbaud.
Au numéro 71, toujours rue du Cardinal-Lemoine, habitait Valéry Larbaud. En 1921, l’écrivain avait prêté son logement à Joyce, diminué après une opération aux yeux. Aujourd’hui, au numéro 9 de la rue des Boulangers, toute proche, se trouve un pub irlandais appelé Finnegan’s Wake. Le nom, qui est aussi le titre du dernier roman de l’écrivain, rappelle le séjour de Joyce dans cet établissement.
Après la guerre, Hemingway habita au numéro 74 de la rue du Cardinal-Lemoine. Sa maison est aujourd’hui un lieu de pèlerinage pour de nombreux touristes américains et fait partie du circuit « Sur les traces de Hemingway à Paris ». À l’époque, des troupeaux de chèvres passaient encore pour livrer le lait frais à domicile. Au rez-de-chaussée de la maison de Hemingway se trouvait le Bal du Printemps, un petit café plutôt sale, où quelques filles dansaient la java vache. Ford Madox Ford y réunissait ses amis pour leur faire visiter le « vrai » Paris.
De la place Contrescarpe part aussi la rue Mouffetard qui est « au point de vue de la crasse, de la sordidité, de la puanteur, et aussi de l’ancienneté, du relief et de la couleur, une des plus remarquables de Paris. Là voisinent, coagulés dans une sorte de magma, des chiffonniers, des revendeurs, des filles, des maquereaux, des tire-laine, des êtres sans âge, sans sexe, non sans fumet, couverts de haillons d'une couleur ramenée au vert et au jaune, des chiens de tout poil et des rats de toute sorte. C'est un grouillement localisé, une sorte de survivance villonienne. C’est une rue pour se perdre parmi les miaulements des chats et les invectives des ivrognes… » écrit Léon Daudet en 1930 dans Paris vécu.
La rue Mouffetard était aussi animée par le marché aux puces et quelques cafés pittoresques, dont celui des Quatre-Sergents-de-la-Rochelle, aux murs noircis par la fumée des pipes des clients et aux tables recouvertes de feuilles de vieux journaux.
Panthéon – C’était une église catholique dédiée à sainte Geneviève avant d’être transformée en mausolée pour accueillir les dépouilles mortelles des personnages qui ont marqué l’histoire de France. Voltaire, Marat, Rousseau, Victor Hugo, Pierre Curie et Dumas y sont notamment inhumés.
Au numéro 10 de la place du Panthéon se trouve la bibliothèque Sainte-Geneviève, fondée en 1624 à l’emplacement de l’ancien collège de Montaigu, où avaient étudié Rabelais, Erasme et Calvin. On y trouve entre autres des bustes de Boileau, de Corneille, de Piron … Elle abrite la collection de Jacques-Doucet, composée de manuscrits de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Gide, Valéry, Tzara, Breton… À l’angle de la rue Soufflot il y a la bibliothèque Marguerite-Durand qui abrite les trésors de la littérature féministe, dont les textes de Flora Tristan, de Marie Deraismes et d’autres encore.
Val-de-Grâce – À l’autre bout de la rue d’Ulm, au sud, se trouve le complexe du Val-de-Grâce. En 1917, Louis Aragon et André Breton y étaient tous les deux pour accomplir leurs obligations militaires, à savoir suivre des cours de médecine au service de l’armée, et c’est ainsi qu’ils firent connaissance. Pour Breton, le nom du complexe évoquait les forêts de Brocéliande et les charmes de la mythologie celtique. Ils furent rejoints plus tard par Soupault et Fraenkel et ensemble ils formèrent les quatre mousquetaires du futur surréalisme. Les deux premiers partageaient la même chambre et lisaient à voix haute Les Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse. De l’autre côté de la paroi malheureusement ils entendaient les cris des soldats devenus fous au front et hospitalisés.
L’Odéon fut un quartier hautement littéraire et il l’est encore aujourd’hui. On y trouve de nombreuses librairies et des cafés où l’on peut s’arrêter pour bavarder. Parmi ceux-ci le café Mabillon au numéro 164 du boulevard Saint-Germain, où le dramaturge Arthur Adamov, toujours à pieds nus, passait ses après-midi aux machines à sous. Le peintre et poète Camille Bryen y venait aussi, emmitouflé dans un manteau trop grand pour lui, déclamant ses poèmes d’une voix stridente. Bien sûr, aujourd’hui le cadre a changé, c’est moderne et ce n’est plus possible de s’attabler tout un après-midi autour d’un café mais il reste toutefois une certaine atmosphère.
Jardin du Luxembourg – Au fil des siècles, le jardin a été un but de promenade pour les écrivains, les poètes, les peintres, ainsi que pour les professeurs et les étudiants. « S'il y avait des perroquets dans les arbres, ils parleraient latin ! » écrivait Jules Vallès en 1883 dans son Tableau de Paris pour décrire l’atmosphère cultivée qui y régnait. Et, à propos d’oiseaux, Flaubert, dans son Éducation sentimentale, décrit Frédéric Moreau en train d’imiter le chant du coq pour avertir son amie avec laquelle il avait pris rendez-vous qui l’attendait rue de Fleurus. Malheureusement, le seul résultat obtenu fut de déclencher les cocoricos de tous les gallinacés du voisinage.
Le parc compte les bustes de Flaubert, George Sand, Stendal, Baudelaire, Sainte-Beuve, Paul Verlaine et d’autres écrivains célèbres… André Gide le comparait à une scène de théâtre. Les premiers à entrer en scène le matin étaient les jardiniers, personnages gris sans sexe ni âge, qui balayaient les allées, arrosaient le gazon et ôtaient les fleurs sèches des pots… Puis arrivaient les gouvernantes et les nounous en uniforme, pleines de rubans sur leur bonnet et leur blouse, qui poussaient les landaus sur le gravier… À midi arrivaient les ouvrières avec un sandwich à la main pour manger sur un banc. Plus tard, c’était au tour des jeunes garçons et des jeunes filles qui se cherchaient et s’évitaient… Au début du concert, de grands groupes se formaient, auxquels s’ajoutaient les vendeuses à la fermeture des magasins… Le soir, il y avait les amoureux qui s’embrassaient dans l’obscurité ou qui se quittaient en pleurant. Enfin, le roulement des tambours indiquait que le parc était sur le point de fermer et qu’il était temps de quitter les lieux.
Rue de Tournon – « C’est la plus italienne des rues parisiennes » disait Moravia. C’est en effet une rue très riche en évocations littéraires. Au numéro 2, à l’angle de la rue Saint-Sulpice, se trouvait l’hôtel Châtillon où vécut Balzac entre 1827 et 1830. Au numéro 4 habitèrent Alphonse de Lamartine et Jules Renard, et au numéro 5 se trouvait Jacques-René Hébert, représentant du parti le plus radical de la Révolution française et fondateur de la revue Le Père Duchesne. Plus récemment, c’est-à-dire à partir de 1910, la famille de Jacques Prévert logea dans cet édifice. C’était le quatrième déménagement qu’ils faisaient en trois ans suite à des problèmes financiers du père. Au numéro 7 il y avait l’Hôtel du Sénat qui était un foyer pour étudiants. Le jeune Alphonse Daudet y vécut également et avait comme voisin Léon Gambetta, futur Premier Ministre de France. Gambetta était pressé d’obtenir son diplôme et de commencer à gagner de l’argent pour pouvoir s’acheter un œil de verre à mettre à la place de celui qui manquait. L’écrivain autrichien Joseph Roth habita au numéro 18 entre 1937 et 1939. D’origine juive, il s’était réfugié dans la capitale française. Il y mourut à 45 ans seulement des suites d’une consommation excessive d’alcool.
À l’angle de la rue Vaugirard, il y avait le restaurant Foyot que Léon Daudet considérait comme le temple de la gastronomie. Robert de Montesquiou y invitait Paul Verlaine, sans le sou, mais l’allure de clochard du poète scandalisait les clients aisés du restaurant. Le maître d’hôtel les aurait volontiers renvoyés tous les deux car l’allure de Montesquiou ne passait pas inaperçue non plus. En dandy excentrique qu’il était, il aimait en effet se parer de perles rouges et d’hortensias bleus… Le 12 décembre 1923, l’écrivain et poète Raymond Radiguet mourut dans une chambre située au-dessus du restaurant. Il avait vingt ans et vivait avec Bronia Perlmutter qui, d’après Jean Cocteau, lui fut « fatale ». En réalité, Radiguet est mort d’une fièvre typhoïde, après une vie de débauche commencée dès l’adolescence. Son livre le plus célèbre – qui fit également l’objet d’un très beau film avec Gérard Philipe – est Le diable au corps.
Saint-Sulpice – « Saint-Sulpice ! Les gros clochers, les affiches sur la porte, les cierges flambant à l’intérieur… » écrivait Henry Miller en 1928 dans Tropique du Cancer. Dehors, sur la place, le murmure des voix, le clapotis de la fontaine, le roucoulement des pigeons… Au numéro 8 de la place de Saint-Sulpice, à l’angle de la rue des Canettes, se trouvait – et se trouve toujours – le café de la Mairie, lieu de rencontre des écrivains. Les surréalistes l’appréciaient aussi pour son dehors et étaient nombreux à le fréquenter.
Au sud de la place, à côté du séminaire de Saint-Sulpice, il y avait l’hôtel de mademoiselle Céleste qui, en ce qui concerne la discipline et le respect des horaires, était dirigé avec presque plus de sévérité que le collège des clercs. En 1871, le siège du journal révolutionnaire L’Atelier se trouvait à la rue Férou, toute proche. C’est dans ces locaux que Eugène Pottier composa L’Internationale, une chanson qui devint populaire dans le monde entier.
Alexandre Dumas plaça les habitations des Trois Mousquetaires dans les alentours de la place. « Il arrivait de rencontrer les inséparables, qui se cherchaient, entre le Luxembourg et la place Saint-Sulpice… » D’Artagnan habitait dans l’actuelle rue Servandoni. Dumas vivait au square d’Orléans, près du théâtre de l’Odéon, où ses pièces étaient jouées avec succès.
Après la guerre, les grottes de Saint-Germain-des-Prés devinrent très célèbres. Elles avaient vu le jour durant l’occupation et des réunions clandestines s’y tenaient. Les lieux ont ensuite accueilli des artistes de l’existentialisme, des concerts de jazz et de la littérature protestataire. Mais déjà dès 1729 existaient à Paris des petits restaurants, les Caveaux, où les écrivains se retrouvaient une fois par semaine pour un dîner au cours duquel ils soumettaient leurs textes au jugement des autres convives. Ce n’était qu’ensuite qu’ils étaient libres de les publier. Ceux qui échouaient ne pouvaient boire que de l’eau alors que ceux qui étaient promus buvaient du vin. C’est un local qui est toujours en activité aujourd’hui et qui a conservé la grotte au sous-sol, Chez Georges, au numéro 11 de la rue des Canettes.
Au numéro 43 de la rue de la Seine, à l’angle avec la rue Jacques-Callot, se trouve le café de la Palette où se rendait aussi Moravia, qui logeait à l’hôtel du Pont-Royal, tout proche. Le café de cet hôtel, sans entrée sur la rue, dégage une atmosphère chaleureuse et est un endroit idéal pour parler de littérature.
L’un des plus célèbres cafés littéraires de Paris qui existe encore aujourd’hui a été ouvert en 1684 par le sicilien Francesco Procopio dei Coltelli au numéro 13 de la rue de l’Ancienne Comédie, juste en face du théâtre. À l’origine, il s’agissait d’une buvette pour les comédiens et les dramaturges. La Fontaine, Voltaire, Marivaux, Beaumarchais, Diderot et d’Alembert y sont passés. Ces deux derniers ont eu l’idée de l’Encyclopédie. Au XIXe siècle, George Sand, de Musset, Daudet, Huysmans, Verlaine et d’autres encore s’y sont retrouvés. La façade arrière, sur la cour Commerce-Saint-André, est ornée de portraits des philosophes qui ont contribué à la gloire du café. Dans l’une des maisons de la rue se trouvait l’imprimerie où Marat édita L’Ami du peuple.
Rue des Grands-Augustins – Parmi les personnages célèbres liés à cette rue il y a le réalisateur Jean-Louis Barrault, mais le plus connu de tous est Picasso, qui habitait au numéro 7. En 1937, le peintre avait installé son propre atelier au Grenier, d’où il allait dîner au bistrot Catalan. Chaque mercredi, il se retrouvait avec Éluard, Leiris et Baudin à l’étage supérieur du local. Parfois, le groupe écrivait sur la nappe des messages pas toujours aimables adressés à leurs compagnons. Il semble que Gertrude Stein ait utilisé ce moyen pour insulter Picasso par rapport à ce qu’il avait écrit dans sa pièce surréaliste Le Désir attrapé par la queue… Le peintre avait aussi demandé au photographe Brassaï d’immortaliser le groupe qui avait lancé la mode d’utiliser les nappes pour écrire et dessiner.
Saint-Germain-des-Prés – Dans l’après-guerre, Saint-Germain-des-Prés était le lieu de prédilection de la bohème artistique et de l’élite intellectuelle. Les cafés étaient remplis de philosophes et d’écrivains. Les plus célèbres étaient le Flore et les Deux Magots où allaient Sartre et de Beauvoir, et le Lipp où allait Léon-Paul Fargue… Mais il y avait aussi la 57 Rhumerie, moins connue mais tout aussi fascinante, située au numéro 166 du boulevard Saint-Germain-des-Prés et inaugurée en 1931 à l’occasion de l’Exposition coloniale. Les écrivains s’y rendaient pour respirer le parfum du rhum des îles, pour goûter la crème de goyave, l’élixir de banane, le punch à la cannelle et à la vanille, assis sur des chaises en jonc. Ils suivaient du regard les mouvements sinueux des femmes noires enveloppées de boubous et rêvaient de contrées exotiques et lointaines. L’ambiance est toujours la même aujourd’hui, on peut venir y déguster un café au rhum ou un cocktail Planteur Saint James…
Prévert habitait rue de Seine, comme il le raconte lui-même dans un de ses poèmes. Quant à Antonin Artaud, il habitait rue Jacob alors que Boris Vian avait une maison rue de Buci. Au numéro 8 du boulevard des Invalides vécut à partir de 1868 l’écrivain Leconte de Lisle avec sa femme, sa mère et ses sœurs. Il y recevait le groupe des Parnassiens dont il faisait partie.
Au numéro 36 de la rue de la Grenelle il y a le restaurant La Petite Chaise, fréquenté par Huysmans, Toulouse-Lautrec et Brillat-Savarin, qui avait écrit des commentaires sur le menu. Vidoq y rencontrait ses collaborateurs. Le restaurant, avec son enseigne en fer forgé, existe depuis le milieu du XVIIe siècle et est l’un des plus anciens de la capitale.
En 1920, James Joyce et sa femme s’étaient installés dans un petit hôtel au numéro 9 de la rue de l’Université. Comme il n’y avait pas de table dans la pièce, l’écrivain s’était inventé une surface plane sur laquelle il écrivait en posant une valise sur les genoux. Avec sa famille, il allait manger chez Michaud, qu’il qualifiait de très mauvais.
Le 30 novembre 1900, Oscar Wilde décéda dans un hôtel au numéro 13 de la rue des Beaux-Arts. Outre Alfred Douglas et Robbin Ross, les propriétaires de l’hôtel suivirent le corbillard qui l’emportait au cimetière de Bagneux. Ils avaient fait faire pour le cercueil une couronne portant l’inscription « À notre locataire ».
Montparnasse – Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Montparnasse a rassemblé de nombreux artistes et écrivains.
Il y avait Modigliani, Tanguy, Masson, Miró, Duhamel, Aragon, Breton… Les groupes portaient le nom des rues où ils se réunissaient. Il y avait le groupe de la rue Blomet, celui de la rue du Château et celui de la rue Fontaine. Certains d’entre eux avaient découvert le Bal nègre (aujourd’hui Bal Blomet), au numéro 33 de la rue Blomet, un dancing populaire fréquenté par des couples antillais. Cocteau, Gide, Henry Miller, Man Ray et Scott Fitzgerald s’y rendaient, en quête de sensations exotiques.
Au numéro 11bis de la rue Delambre, au centre du quartier Montparnasse, se trouvait le bar Rosebud, refuge des poètes et des écrivains noctambules. Les clients s’échangeaient des propos passionnés et entretenaient des conversations érudites…. Dans le passé, le bistrot avait été fréquenté par Sartre, de Beauvoir et leur groupe d’amis. En 1872, Arthur Rimbaud vivait dans une mansarde de la rue Campagne-Première, en compagnie du peintre et caricaturiste Jean-Louis Forain. Ce dernier, surnommé gavroche, raconta qu’il n’avait résisté à cohabiter que quelques mois avec le poète qui était toujours ivre et qui ne se lavait jamais.
À partir de 1924, Hemingway vécut au numéro 113 de la rue Notre-Dame-des-Champs. Il fréquentait les bistrots de Port-Royal et de la Closerie-des-Lilas, où il retrouvait Dos Passos et Fitzgerald. Dans son livre Paris est une fête, il raconte ses années à Paris, quand il était « pauvre et heureux... » Il décrit les gens qu’il fréquentait, parmi lesquels Gertrude Stein, Ford Madox Ford et Scott Fitzgerald. Ce dernier lui parlait pendant des heures de ses problèmes avec les éditeurs et de sa situation économique difficile... Ezra Pound habitait au numéro 70bis de la même rue et de nuit il se mettait nu à la fenêtre, une bougie à la main, et récitait ses Cantos à haute voix. Le poète gagnait un peu d’argent en corrigeant les manuscrits d’Hemingway… Henry Miller habitait au numéro 101 de la rue de la Tombe-Issoire, à villa Seurat, une impasse aux petites maisons colorées. L’écrivain occupait une chambre avec de grandes fenêtres, au dernier étage de l’immeuble, en compagnie d’Anaïs Nin.
Halles – Zola vécut dans de nombreux endroits de la capitale. Il déménageait souvent dans le seul but de pouvoir observer de près les changements dans les différents quartiers, pour ensuite utiliser ces connaissances dans ses livres. C’est le cas, par exemple, pour de nombreux épisodes de l’histoire des Rougon-Macquart, qui se déroule entre la Bourse, la Goutte d’Or, l’Opéra et d’autres quartiers… Zola suivait avec intérêt les démolitions de Haussmann, l’ouverture des grands magasins, les luttes de la Commune et l’activité des Halles, où il se rendait de nuit. Le roman qu’il situe dans ce grand marché s’appelle Le ventre de Paris et constitue un inventaire méthodique des lieux, une fresque très détaillée. Zola se retrouvait à côté des messieurs qui venaient là après le théâtre, des fêtards élégamment vêtus avec une fleur à la boutonnière, des femmes en robe de soirée et en fourrure qui venaient manger un bol de soupe à l’oignon ou encore à côté des bouchers en pause dont les habits dégoulinaient de sang à force de porter des quartiers de bœuf sur les épaules.
Châtelet – À l’aube du vendredi 26 janvier 1855, dans le rue de la Vieille-Lanterne - qui n’existe plus mais qui était située entre la place du Châtelet et le pont Notre-Dame - le corps de Gérard de Nerval fut retrouvé pendu à une balustrade devant la boutique d’un serrurier. Il avait encore son chapeau haut de forme sur la tête, détail qui mena Dumas à penser que son agonie dut être douce. Cette nuit-là, à deux heures, Nerval avait voulu se réfugier dans un taudis proche mais à cette heure-ci, la propriétaire ne lui avait pas ouvert. Il faisait moins 18 degrés et le poète dut penser que sa vie errante et misérable ne valait plus la peine d’être vécue…
Autrefois, la rue Saint-Martin, toute proche, qui part du Centre Pompidou en direction du nord, était le chemin qui menait de la Cité aux terrains de chasse de la forêt du Rouvray. En sens inverse, les pèlerins du nord l’empruntaient pour se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle. Nicolas Flamel y vécut dans une maison qui existe encore aujourd’hui et qui est considérée comme la plus ancienne de Paris.
Madeleine – Le quartier de la Madeleine est lié au nom de Proust qui enfant, habitait dans l’immeuble situé au numéro 9 du boulevard Malesherbes. Dans le parc des Champs-Élysées, il rencontrait la fille d’un noble polonais, qui lui donna plus tard l’inspiration pour quelques caractéristiques de Gilberte Swann, l’une des protagonistes de la Recherche. La famille déménagea ensuite au numéro 45 de la rue de Courcelles et, à la mort de ses parents, l’écrivain s’installa au numéro 102 du boulevard Haussmann, où il fit revêtir la chambre de liège pour atténuer le bruit. Au printemps, il n’ouvrait jamais la fenêtre pour ne pas laisser entrer le pollen qui lui aurait provoqué une crise d’asthme.
Il se rendait à l’hôtel Ritz de la place Vendôme, arrivait vers neuf heures du soir et y restait jusqu’à deux heures du matin. Colette le décrit vêtu d’un manteau doublé de fourrure ouvert sur un frac blanc avec une cravate en batiste. Il portait un chapeau haut de forme sur la tête pour se protéger du froid. Il mangeait dans une pièce à part avec quelques amis et demandait souvent un petit verre d’eau-de-vie.
Hemingway fréquentait aussi le Ritz, même s’il préférait se rendre au Harry’s – du nom de Harry Mac Elhone qui l’avait repris en 1913 –, situé au numéro 5 de la rue Daunou. Une plaisanterie circulait à propos de l’écrivain américain selon laquelle plutôt que de libérer Paris de l’ennemi, il avait libéré les caves parisiennes de leur précieux contenu. Le célèbre restaurant Maxim’s, situé au numéro 3 de la rue Royal, était fréquenté, entre autres, par Drieu la Rochelle. Un jour d’août 1914, en sortant de l’établissement, il avait vu qu’une affiche de mobilisation générale avait été placardée à l’entrée du Ministère de la Marine, situé juste en face. Pendant l’occupation, la Rochelle continua à fréquenter le restaurant en compagnie d’officiers allemands.
À partir de 1790, le marquis de Sade vécut dans une petite maison avec jardin de la rue Neuve-des-Mathurins, à l’angle avec la rue de la Ferme-des-Mathurins. Selon ses dires, il menait l’existence vertueuse d’un vicaire, les « plaisirs impurs » ayant disparus depuis longtemps. Le 8 décembre 1793, « le citoyen Desade » fut arrêté dans cette maison et conduit aux Madelonnettes.
Vers la Bastille en omnibus – Un service d’omnibus appelé Madeleine – Bastille en raison de son itinéraire partait de la Madeleine… À propos de cet itinéraire, Maupassant avait écrit en 1880 que si un livre avait suffi à Chateaubriand pour raconter l’itinéraire de Paris à Jérusalem, combien de volumes seraient nécessaires pour raconter un voyage de la Madeleine à la Bastille ?
De nombreux écrivains illustres ont vécu rue Richelieu, de Andrea Chénier à Molière en passant par Diderot. C’est dans une maison de cette rue, démolie par la suite, que Stendhal écrivit Le Rouge et le Noir. À côté, rue Chabanais, célèbre pour la maison close du même nom, se trouvaient plusieurs établissements, dont la Paste, fréquentés par les écrivains.
Au numéro 2 de la rue Vivienne il y avait – et il y a toujours – la brasserie Au Grand Colbert. Dans son splendide décor et à certaines occasions, elle a conservé la tradition de proposer des menus littéraires dédiés à des écrivains du passé et à des œuvres célèbres. Il y a le bœuf braisé au lard et à l’oignon du Cousin Pons, le massepain d’Issoudun, ville d’origine de la Rabouilleuse (la jeune fille qui agite l’eau du ruisseau avec un bâton pour faire remonter les écrevisses à la surface), la blanquette de veau décrite par Zola dans l’Assommoir, le sorbet au thé servi avec une madeleine en mémoire de Proust ou encore le coq au vin de Madame Maigret…
À l’angle de la rue de Rivoli et de la rue de Castiglione il y avait la Bodega, lieu de rencontre des Anglo-Saxons qui habitaient dans la capitale. Et lors des jours de pluie ou de brouillard, le quartier près de la Seine où se trouvait le bar prenait des allures londoniennes avec le bruit et le mouvement des remorqueurs sur le fleuve.
Tuileries – À la fin du XIXe siècle, les Champs-Élysées représentaient encore la limite extrême de la capitale, mais dans les années qui suivirent ils devinrent le point de départ de nouveaux quartiers. La capitale s’est étendue vers l’ouest, là où il y avait de nouveaux espaces, où sont apparues l’Étoile et les Tuileries. Mais ces quartiers n’ont jamais eu la même dynamique littéraire que connut Saint-Germain par exemple.
Après s’être rendu aux Tuileries, Baudelaire a décrit la foule de parias qui se pressaient autour de l’enceinte d’un concert public et qui tentaient de saisir au vol un morceau de musique. Les riches et les aristocrates assis à l’intérieur étaient en revanche « fatigués de n’avoir rien fait » selon l’expression du poète. Des expressions d’ennui et d’impatience se lisaient sur leur visage.
Bois de Boulogne – Les forêts de grands arbres, les grottes, les prairies, les rochers, les ruisseaux, les petits lacs bordés de sapins et les étangs attiraient Marcel Proust qui venait y observer les plantes qui poussaient dans la nature dans des milieux très différents les uns des autres. À la porte Maillot, dans l’angle nord-ouest du parc, il y avait un Luna Park, décrit par Raymond Queneau dans Pierrot mon ami, où se rendaient les surréalistes. André Breton en particulier y venait, s’amusant comme un enfant au stand de tir, sur les montagnes russes, devant les miroirs déformants et dans le labyrinthe des mystères, où les visions d’horreur s’alternaient avec les tableaux bucoliques.
Passy – En 1752, Rousseau habitait dans une maison située au numéro 21 de la rue Berton, où il écrivit Le Devin du village, un intermède comique dont il composa également la musique. Il s’agit d’une petite rue, entre deux murs couverts de lierre, dans un quartier à l’époque pittoresque. Elle fut également l’objet d’une œuvre d’Apollinaire qui, le 10 mai 1916, dut malheureusement se faire trépaner dans un hôpital situé dans cette même rue. En effet, le poète avait été blessé à la tempe par un éclat d’obus alors qu’il se trouvait dans une tranchée lors de la Première Guerre mondiale. Au numéro 19 de la rue Raynouard habitait Balzac alors que Maxime du Camp, ami de Flaubert, habitait au numéro 19 du Hameau de Boulainvilliers. Au numéro 17 de la rue d’Ankara se trouvait la clinique Folie Sandrin du docteur Esprit, qui accueillit également Gérard de Nerval. La première fois, l’écrivain y était entré en proie à un délire furieux ; la seconde fois, il y fit un court séjour puis mit fin à ses jours peu de temps après. Un autre patient illustre fut Guy de Maupassant, mort après y être resté un an et demi. Il était convaincu que le traitement des médecins avait aggravé son cas et que la morphine avait provoqué des trous dans son cerveau.
Auteuil – Vers la fin du XIXe siècle, Auteuil était un grand espace vert. Une des demeures était celle de la comtesse Potocka qui avait besoin de place pour ses nombreux chiens. Lorsque Chateaubriand (ou Gabriel de la Rochefoucauld?) lui rendit visite, il n’était pas tellement enthousiaste de l’endroit. « Est-ce qu’il y a quelque chose de curieux à visiter dans les environs? » lui demanda-t-il d’un air perplexe et dubitatif.
Proust venait à Auteuil en été, enfant, avec ses parents, invités chez un grand-oncle à la rue La Fontaine. La construction de l’avenue Mozart marqua la fin du jardin où le jeune Marcel cueillait les fraises. Auteuil attira aussi d’autres écrivains, en particulier ceux qui avaient les moyens. Parmi eux, Boileau, qui avait acheté une propriété. Quant à Molière, il se contentait d’une chambre à l’hôtel Mouton Blanc, alors que Racine disposait d’un petit pied-à-terre.
Les frères Goncourt avaient acheté une maison au numéro 53 du boulevard de Montmorency. Ils voulaient s’éloigner des bruits du centre sans être trop en banlieue. De leurs fenêtres, ils avaient une belle vue sur le Mont-Valérien et la forêt de Meudon. Malheureusement, Jules Goncourt mourut peu de temps après avoir déménagé. La pièce la plus célèbre de la maison était le grenier, une pièce mansardée au deuxième étage où Zola, Daudet, Maupassant, Huysmans, Gautier et d’autres se réunissaient le dimanche après-midi.
Les Grands Boulevards – Au XIXe siècle, la capitale s’était développée le long des boulevards Malesherbes, Haussmann, des Capucines, Montmartre, des Italiens… À propos de ce dernier, Musset disait que c’était un lieu agréable et très animé, où l’on trouvait des restaurants, des cafés, des théâtres et des salons de jeu. L’endroit le plus renommé était le glacier Tortoni, le premier à proposer des glaces italiennes. De Musset venait les déguster, élégamment vêtu d’une veste bleue à boutons dorés, d’un pantalon gris et avec son chapeau toujours sur la tête. Sur le boulevard se trouvait un autre café célèbre, le café Riche, ouvert en 1785 et où se retrouvaient les journalistes opposés au régime. Baudelaire, Flaubert, Zola et Daudet y venaient aussi et s’amusaient à s’autoproclamer auteurs ratés, car tous avaient écrit au moins un livre qui n’avait pas eu de succès. En 1889, ce café devint le quartier général du boulangisme, le mouvement qui s’était formé autour du général réformateur Boulanger.
Boulevard Montmartre et les Passages – Ce boulevard avait inspiré à Balzac deux activités commerciales. Toujours à la recherche de nouveaux moyens pour gagner de l’argent et payer ses dettes, l’écrivain avait pensé ouvrir une boutique peinte en noir et rechampie de filets d’or pour y vendre des plants d’ananas, cultivés dans les environs. La deuxième activité concernait l’ouverture d’un café où George Sand serait à la caisse et Théophile Gautier se chargerait du service aux tables, serviette amidonnée au bras. Balzac s’imaginait faire le maître d’hôtel. Il semblerait toutefois que les deux écrivains ne furent pas si enthousiastes à l’idée d’abandonner l’écriture pour travailler dans un bar. Aucun des deux projets n’aboutit et Balzac dut renoncer à ses idées de gain. Au numéro 6 du boulevard se trouvait l’élégant café de Madrid, fréquenté assidûment par Daudet et d’autres écrivains.
Au numéro 3 de la rue Le Peletier, toute proche, à la sortie du passage de l’Opéra, se trouvait le café le Divan, fréquenté par Nerval, Berlioz, Gautier, Dumas et Nadar. Puis arriva la « basse-bohème » d’après la définition des frères Goncourt, et le café se détériora. Ce groupe était composé, entre autres, de Baudelaire et Manet.
Dans le passage Panorama il y avait l’entrée des artistes du théâtre des Variétés. Devant l’entrée se trouvaient « des boutiques obscures, une cordonnerie sans clientèle, des magasins de meubles poussiéreux, un cabinet de lecture enfumé… » C’est là que le comte Muffat attendait Nana, comme le raconte Zola dans le roman du même nom. L’adaptation théâtrale du roman fut jouée dans ce même théâtre. Après la représentation, les spectateurs se pressaient au restaurant Brébant, au numéro 32 du boulevard Poissonnière, où l’on pouvait dîner jusqu’à quatre heures du matin. Ce restaurant était également réputé pour ses soirées littéraires.
Butte Montmartre – La butte de Montmartre est aujourd’hui plutôt touristique, mais c’est un lieu qui a eu une vie littéraire et artistique importante, documentée de manière passionnante au musée du Vieux Montmartre. Gérard de Nerval a très bien décrit le paysage pittoresque du milieu du XIXe siècle, qui disparut ensuite en raison de la croissance démographique. Aujourd’hui les moulins, les tonnelles, les ruelles silencieuses bordées de chaumières, les granges, les jardins touffus, les plaines vertes entrecoupées de précipices, les sources filtrant dans la glaise, « les chèvres broutant l’acanthe et des petites filles à l’air fier, au pied montagnard les surveillent et jouent entre elles » n’existent plus. Nerval comparait ce paysage à celui de la campagne romaine…
En haut de la rue Mont Cenis, très raide, il y avait la maison du compositeur Hector Berlioz, qui n’existe plus car elle tombait en ruine. Francis Carco la décrit ainsi : « L’herbe poussait au pied de la façade décrépite et dans les fissures du sol, qui avait cédé dans la partie centrale, s’était formé un petit ruisseau. Un reste de trottoir a subsisté. La vieille baraque était inhabitée et tombait en ruine. En poussant la porte d’un coup d’épaule, on apercevait une sorte de verger en pente, à l’abandon. Les volets, rongés par les mites et à la peinture écaillée, étaient fixés avec des bouts de fil de fer aux fenêtres dont les vitres étaient cassées. L’aspect de cette maison me serrait le cœur. Ils auraient dû la restaurer et la classer comme monument historique… » Malheureusement, le grand désir de Carco n’a jamais été exaucé et la maison fut rasée au sol pour faire place à un grand édifice. Sur la façade, une plaque rappelle que là vécut un grand génie de la musique.
Comme les personnages de l’Assommoir de Zola, qui connaissaient toutes les tavernes de Montmartre, les poètes du début du XXe siècle s’y retrouvaient aussi, se mêlant aux noctambules.
Parmi eux, Courteline, qui était du coin. Il se rendait tous les jours au café Clou pour y boire un précipité de Pernod. Il en profitait pour relever les bêtises des clients, qu’il transposait ensuite aux personnages de ses romans. Erik Satie et Max Jacob, qui avaient un peu plus d’argent, allaient au restaurant Bouscarat à la place du Tertre boire un verre de vin d’Anjou, servi frais dans un petit pichet.
Aujourd’hui, de nombreux touristes qui montent à Montmartre se font photographier à côté de la statue en bronze du passe-muraille de la place Marcel-Aymé, peut-être sans savoir de qui il s’agit. L’homme qui traverse les murs est un personnage d’un roman de Marcel-Aymé, intitulé La Jument verte. L’écrivain habitait l’immeuble situé à côté de la statue. Il allait régulièrement chez George, sur la place du Tertre, pour jouer au domino. Dans son livre, Aymé écrit : « Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d’Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul, qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans être incommodé. » Aymé donna des noms fictifs aux rues de la Butte, dont la rue du Chat-perché et la rue des Cartes-du-temps.
L’un des bâtiments les plus célèbres de Montmartre est le Bateau Lavoir. Le surnom de bateau-lavoir lui avait été donné parce que, pour accéder aux différents étages, il fallait descendre plutôt que monter. Picasso y a également vécu, lui qui y avait organisé un banquet en l’honneur du douanier Rousseau. En 1970, l’immeuble fut complètement détruit par un incendie, seule la façade grise donnant sur la place Goudeau a résisté.
Il y avait quelques cabarets à Montmartre, dont le Chat Noir, rendu célèbre par le poète et chansonnier Aristide Bruant et immortalisé par une affiche de Toulouse-Lautrec. Un autre cabaret, qui existe encore aujourd’hui, est le Lapin Agile, déformation de l’expression Lapin à Gill qui désignait le lapin de l’enseigne peinte par André Gill. À l’intérieur, dans la grande salle avec la cheminée, de nombreux poètes se réunissaient pour réciter leurs vers. Le comédien Charles Dullin y participait également, déclamant du Baudelaire et faisant ensuite la tournée pour la quête, chapeau à la main. Sur le boulevard de Clichy se trouvait le bar Néant, dont les clients buvaient leurs bières à des tables en forme de cercueil, avec des lustres fabriqués avec des ossements humains au-dessus de leur tête.
Batignolles - Le village de Batignolles, annexé à la capitale en 1860, était appelé le bas-Montmartre car c’est là que vivaient les peintres fauchés. Les loyers étaient bas, les maisons étaient proches des cafés de la bohème et des ateliers des modèles qu’ils employaient. C’est sur la Grand-Rue des Batignolles que se retrouvaient Degas, Monet, Renoir, Pissarro et Manet, à l’aube de leur carrière. Zola y venait aussi, ainsi que d’autres écrivains.
Place de Clichy – La place est la protagoniste du livre de Henry Miller « Jours tranquilles à Clichy ». L’écrivain habitait à proximité et son attention était attirée, entre autres, par les prostituées qui travaillaient autour de la place. Devant le Gaumont Palace, il y en avait une avec une jambe de bois, d’autres attendaient les clients devant les petits hôtels, alors que les proxénètes jouaient aux cartes dans les cafés. « Du côté de la place Clichy, se trouve le café Wepler qui fut longtemps mon repère favori. Je m’y suis assis à l’intérieur ou sur la terrasse, par tous les temps. Je le connaissais comme un livre. Les visages des serveurs, des directeurs, des caissières, des putains, des habitués même ceux des dames des lavabos sont gravés dans ma mémoire comme les illustrations d’un livre que je lirais tous les jours. » Il y était entré pour la première fois en 1928. La place Blanche était aussi un lieu littéraire car il y avait le café Cyrano, fréquenté par les surréalistes, qui appréciaient son atmosphère calme.
En 1922, André Breton était venu habiter rue Fontaine, au-dessus du cabaret du Ciel et de l’Enfer, dont la façade était ornée de caricatures des monstres de Bomarzo. Il recevait ses amis surréalistes dans l’appartement rempli de sculptures africaines et océaniennes.
En 1881, le cabaret du Chat Noir, dont les serveurs étaient déguisés en académiciens, avait ouvert au 84 boulevard Rochechouart. En revanche à la Cigale, toute proche, Jean Cocteau s’exhibait dans le rôle de Mercutio, d’après une adaptation qu’il avait imaginée à partir du Roméo et Juliette de Shakespeare.
Saint-Lazare – Proust qualifiait d’« atelier vitré » la gare Saint-Lazare, point de départ des trains vers les ports du nord et les brumes de Londres. Il s’y rendait pour prendre le train pour Balbec. Paul Verlaine a logé à l’Austin Hôtel, situé juste en face. Il s’asseyait à une petite table du bar, près de la fenêtre, et buvait une bière forte tout en regardant la pluie tomber à travers les vitres. L’auteur dramatique George Feydeau, en revanche, séjourna plus de trente ans à l’hôtel Terminus. Il avait abandonné sa jeune et belle épouse parce que, disait-il, il n’avait jamais rien à lui dire.
La Nouvelle Athènes – En 1820, le quartier de Saint-Georges fut surnommé la Nouvelle Athènes, en raison du grand nombre d’écrivains, d’artistes, de comédiens, de musiciens et d’intellectuels qui étaient venus s’y installer.
Marais – Le XVIIe siècle fut l’âge d’or pour le quartier du Temple, la place des Vosges et le quartier Saint Paul, très différents les uns des autres mais tous faisant partie du Marais. En 1600, la place Royale, aujourd’hui place des Vosges, avait été réaménagée et de magnifiques palais y avaient été construits. Dans l’un d’eux, Madame de Necker recevait Diderot et les Encyclopédistes. Rue de Beauce et rue des Tournelles, en revanche, se trouvaient les salons des « féministes », où les thèmes de l’union libre, du malthusianisme et de l’eugénisme étaient abordés. Ninon de Lenclos recevait les femmes de lettres dans sa célèbre chambre jaune. C’est dans ce quartier qu’en 1626 naquit la future Madame de Sévigné, auteur des fameuses lettres. Elle habitait dans le bâtiment qui abrite aujourd’hui le musée Carnavalet, qu’elle appelait Carnavalette. Marion de Lorme, que Hugo transforma plus tard en personnage littéraire et qui fut la protagoniste d’un de ses romans, vécut dans le quartier du Marais. L’écrivain habitait dans un appartement sur la place des Vosges, d’où il échappait par un petit escalier pour rejoindre, par d’étroites ruelles, la boulangerie dite de la Herse d’Or. À la Herse d’Or, à l’angle de la rue de la Cerisaie, il y avait toujours un pain chaud pour lui. De plus, les patrons lui avaient raconté qu’un véritable labyrinthe de galeries souterraines menait des caves de leur boutique au quartier Saint-Antoine sans jamais devoir sortir. Et pour un passionné comme lui du Paris souterrain, ce n’était que du bonheur. Dans son appartement, l’écrivain recevait Lamartine, Vigny, Dumas et Mérimée, assis sur un canapé placé sous un baldaquin doré provenant de la Casbah d’Alger.
Dans son livre La main enchantée, Gérard de Nerval écrit au sujet des maisons de la Place des Vosges que « quand leurs faces de brique entremêlées et encadrées de coins de pierre, vous vous sentez, à les voir, la même vénération que devant une cour des parlements assemblée en robes rouges à revers d’hermine. » Au moment de la Révolution, le Marais devint une zone industrielle et commerciale. Alphonse Daudet, qui habitait à la rue Pavée et qui faisait de longues promenades dans le quartier, décrit ainsi ce changement : « Dans l’ombre humide et provinciale des longues rues tortueuses émanent des odeurs de bois et de parfums. L’industrie moderne a transformé les vieux palais du temps d’Henri II et de Louis XIII en usines de produits chimiques et d’eau de Seltz… »
Dans son livre Mystères de Paris, Eugène Sue a placé Monsieur Pipelet dans une maison située au numéro 17 de la rue du Temple. Dans le chapitre intitulé Les quatre étages, l’auteur décrit l’immeuble de manière « anatomique », en situant les différentes classes sociales, de plus en plus marginalisées au fur et à mesure que l’on monte à des étages différents. Au premier étage il y a la noblesse, au deuxième une diseuse de bonne aventure, au troisième un tailleur de pierres précieuses qui est en réalité pauvre, et ainsi de suite…
À partir de 1654, le poète Scarron habita dans une maison située à l’angle de la rue de Turenne et de la rue Villehardouin. À l’âge de quarante ans, Scarron avait épousé Françoise d’Aubigné, 15 ans, la future Madame de Maintenon, gouvernante des enfants du roi. Le poète était infirme et difforme, mais plein de bonne humeur et d’ironie. Son œuvre la plus célèbre est d’ailleurs le Roman comique dans lequel il a transposé son propre sens de l’humour. Même lorsqu’il était paralysé dans son lit, il ne renonçait pas à soulever son chapeau en signe de salut aux visiteurs. C’est pour cette raison qu’il avait fait installer un système de poulies qui faisait monter son couvre-chef en tirant sur un fil.
Rue des Rosiers – La rue s’élève sur l’ancien chemin de ronde des remparts de l’enceinte de Philippe Auguste, où se trouvaient des rosiers. À partir du XIIIe siècle, un ghetto avait été construit sur ce terrain insalubre, qui devint par la suite le centre du quartier juif de Paris. Il vit arriver la dernière grande vague d’immigrants en 1880 qui fuyaient les pogroms de Russie et de Pologne.
« Une fois, en traversant le faubourg Saint-Antoine les soirs d’été, j’ai vu des Juifs en haillons sur une petite place bordée d’arbres. Il y avait des vieillards, des femmes, des enfants, des jeunes filles aux cheveux noirs qui travaillaient sur de petits étals et montraient avec calme toute leur misère. C’était une misère ancienne, avec un air oriental… » écrivit Anatole France.
La Bastille – La Bastille peut être considérée comme un lieu littéraire dans la mesure où des écrivains et des philosophes y ont été emprisonnés. Voltaire y a passé l’année 1717, quand il avait 23 ans, parce qu’il avait écrit un pamphlet contre les filles du Régent. À sa sortie, il reçut une pension en guise de dédommagement. « Je remercie Votre Altesse de ce qu’elle veut bien se charger de ma nourriture ; mais je la prie de ne plus se charger de mon logement » répondit Voltaire au Régent.
Donation de Sade passa cinq ans à la Bastille, de 1784 à 1789. Un jour, le marquis décida d’ameuter les passants dans la rue. Il prit alors un long tuyau de fer blanc avec une sorte d’entonnoir au fond, s’en servit de porte-voix et commença à proférer des invectives contre le gouverneur. Il invitait les personnes de l’extérieur à venir à son secours mais malheureusement, le seul résultat obtenu fut d’être transféré à Charenton.
Le quartier de la rue du Faubourg Saint-Antoine, au sud de la place de la Bastille, a toujours eu un esprit frondeur. C’est de là que sont partis les soulèvements qui ont conduit à la Révolution et ce sont les ouvriers des manufactures de l’arrondissement qui donnèrent l’assaut à la Bastille. Jules Vallès disait que le faubourg était comme un cratère d’où s’échappait le plus souvent une lave révolutionnaire….
Flaubert a rendu célèbre le boulevard Bourdon, qui longe le canal, en y plaçant le banc des deux protagonistes de son roman Bouvard et Pécuchet. « Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. » Bouvard venait de la Bastille, Pécuchet du Jardin des Plantes et tous deux s’étaient retrouvés par hasard assis sur le même banc. Ils avaient sous leurs yeux le bassin de l’Arsenal qui n’était encore à l’époque que le canal Saint-Martin, sur les eaux sombres duquel passaient lentement les péniches chargées de briques et de bois.
Le commissaire Maigret, le personnage créé par Simenon, habitait sur le quai Bercy, où l’ombre des arbres arrivait dans l’après-midi. Lui et sa femme s’asseyaient sur un banc qui, on ne sait pourquoi, tournait le dos à la Seine. Dans Maigret s’amuse, Simenon raconte que devant eux se trouvait une ville étrange, entourée de grilles, où, au lieu de maisons, il y avait des entrepôts avec des panneaux portant les mêmes noms que ceux que l’on voit sur les bouteilles. Il y avait des rues, des carrefours, des places, des avenues, comme dans une vraie ville, mais au lieu de voitures, c’étaient des barriques de tout calibre qui les encombraient.
Charles Nodier, conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal fondée en 1797, recevait le dimanche dans son salon des artistes, écrivains et philosophes. Parmi les habitués, le poète Félix Arvers, auteur, entre autres, du célèbre vers « Mon âme a son secret, ma vie a son mystère ».
Ménilmontant- Jusque-là il a été question de lieux littéraires situés dans des quartiers assez centraux de la capitale. Il est vrai qu’on en trouve beaucoup plus au centre-ville qu’en banlieue. Cependant, autour de la place de la Nation et à la Foire du Trône, par exemple, fête populaire où l’on vendait le fameux pain d’épices, la poésie populaire était exercée. C’est aussi à Ménilmontant, à Belleville, à la Goutte-d ’Or et jusqu’aux confins de la Zone que des chefs-d’œuvre du roman populaire et de la poésie marginale ont vu le jour. Un des lieux hautement symboliques de la littérature est le cimetière du Père-Lachaise. Plus qu’un cimetière, c’est un jardin romantique, avec ses obélisques, ses pyramides et ses nombreux monuments inspirés de l’Antiquité. Ici l’œuvre de l’homme est étroitement liée à celle de la nature.
Huysmans a dressé un portrait à la fois doux et mélancolique de Ménilmontant, que le chansonnier Maurice Chevalier appelait Ménilmuche et qu’il chanta dans la Marche de Ménilmontant en 1941. « Dans cet immense quartier, les maigres salaires vouent à d’éternelles privations les enfants et les femmes. Mais la rue de la Chine, la rue des Partants et la rue Orfila avec ses clôtures de bois mal équarri, ses gloriettes inhabitées, ses jardins déserts revenus à la pleine nature, poussant des arbustes sauvages et des herbes folles, donnent une note d’apaisement et de calme unique. » Par contre, le Ménilmontant décrit par Huysmans a disparu à jamais. Les frères Goncourt avaient passé leur enfance dans une grande maison située au numéro 119 de la rue de Ménilmontant, dont la façade ressemblait à celle d’un temple grec. « Ce château de Ménilmontant où notre mère vivait… où nous avons grandi, en troupeaux de cousins, où les familles, mêlées dans la maison et dans le jardin, ne semblaient jamais devoir se quitter. » écrivirent-ils.
Dans une lettre de 1917, l’écrivain et poète Max Jacob, qui habitait dans le quartier, décrivait ainsi sa journée : « Le matin à 7 heures je vais à l’église de Ménilmontant et j’ai découvert le plus beau pays du monde parisien. C’est sauvage : la bise souffle sur des maisons branlantes, des terrains vagues et montueux. »
Belleville – C’est à partir de la fin du Second Empire que romanciers et poètes ont prêté aux habitants de Belleville un langage et des coutumes particulières et recréé une atmosphère populaire qui aujourd’hui n’existe plus. L’endroit a complètement changé depuis les années 1960 déjà, avec la destruction des ruelles et des petits jardins privés au profit d’artères plus larges et d’espaces verts publics plus vastes. Puis il s’est encore transformé dans les années 1980 et 1990. Le temps est désormais loin où dans les guinguettes de la Courtille on mangeait, on dansait et on chantait des chansons en argot appartenant à la littérature populaire. Les poèmes du dix-huitième siècle de Jean-Joseph Vadé, auteur également de fables et de pièces de théâtre, par exemple, appartenaient à cette catégorie. Dans les quarante-six pages de son œuvre La Pipe cassée, il a chanté les établissements populaires de Belleville, dont le Coq-Hardi et le Bœuf-Rouge. Le poète empruntait son inspiration au vocabulaire des harengères des Halles, dont l’une portait le surnom de Madame Saumon. On l’appelait alors le Corneille des Halles et on le classa dans le genre poissard. Certes, il attribuait des expressions triviales aux personnages de ses œuvres mais derrière elles, il laissait entrevoir leur pensée morale et ne les ridiculisait jamais. Un écrivain, qui décrivit l’aspect bon enfant du Belleville populaire mais aussi l’aspect triste des années d’occupation est Clément Lépidis, dans Des Dimanches à Belleville. L’écrivain et réalisateur Georges Perec, né en 1936 à Belleville de parents juifs, a vécu toute son enfance à la rue Vallin et n’a cessé d’y revenir jusqu’à ce que la rue soit complétement rasée.
Rappelons aussi que plusieurs films célèbres ont été tournés à Belleville, dont Casque d’or et Jules et Jim de Truffaut.
L’Assommoir – Assommoir signifie bistrot et aux XIXe siècle, c’était le nom de l’établissement du père Colombe, au coin de la rue des Poissonniers, dont l’enseigne portait le nom de « Distillation » en grosses lettres bleues. À l’intérieur, sur le comptoir, il y avait des files de verres et de mesures en étain. L’Assommoir deviendra plus tard le titre d’une œuvre de Zola qui, avant de l’écrire, avait bien exploré ce quartier insalubre et surpeuplé. En décrivant la Goutte d’Or – dont le nom vient d’un vin blanc local – l’auteur dit que le trottoir était défoncé, que les boutiques des cordonniers et des tonneliers étaient sombres et que les volets d’un marchand de vin en faillite étaient couverts d’affiches. Cette rue était la dernière ramification de la ville, au-delà de laquelle ne se trouvaient que les hangars des usines. La rue Marcadet, toute proche, est décrite par Zola comme une rue noircie par la poussière du charbon des manufactures voisines, avec des constructions grises et des structures branlantes.
Les Buttes-Chaumont – Dans Le Paysan de Paris, Louis Aragon décrit une promenade qu’il fit dans ce parc en 1924 en compagnie de Breton et Noll. Tous trois pénétrèrent de nuit dans le parc, terrain de surprises et de grandes révélations, et suivirent un chemin en spirale vers le sommet de la colline. Pour eux, ce royaume de l’ombre était un labyrinthe initiatique à traverser. Ils avaient appelé la passerelle des suicides « le lieu de la mort consentie » et affirmaient que le parc leur transmettait la même inquiétude qu’un tableau de Magritte.
Nous terminons par un quartier de l’extrême périphérie, à l’extérieur des remparts construits par Thiers et décrit par Louis-Ferdinand Céline tel qu’il était au début du XXe siècle, lorsqu’une population très pauvre s’était installée sur ce terrain et y avait créé une sorte de bidonville. Le quartier s’appelait la Zone et les habitants les zonards. Il s’agissait de personnes chassées du centre-ville par la spéculation immobilière, de paysans venus chercher fortune en ville et devenus très pauvres. Dans son livre Voyage au bout de la nuit, Céline le décrit tel qu’il était dans les années 1920 : « … cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et de la blennorragie… »